Guide pratique : Gestion des besoins des publics divers
- Un dilemme fréquent : tous ensemble ou séparément ?
Il n’existe pas de recette unique pour répondre aux besoins spécifiques des différents groupes sociaux lors de la préparation d’un processus de participation citoyenne. Dès qu’iels s’engagent à assurer le niveau d’inclusivité le plus élevé possible, les professionnel.le.s se trouvent souvent face à un dilemme : vaut-il mieux aborder tous les groupes de manière collective, afin de mettre en lumière les enjeux communs, ou traiter séparément l’expérience de chaque public ciblé pour lui donner la reconnaissance et l’espace nécessaires à une expression libre ?
Cette tension traverse la pratique quotidienne et mérite réflexion.
Dans ce billet, nous explorerons d’abord les avantages et limites d’une approche collective (touxtes ensemble) par rapport à une approche différenciée (chaque groupe séparément). Les deux offrent des bénéfices réels mais présentent aussi des écueils. Reconnaître ces dynamiques est essentiel : d’un côté, pour résister à la tentation homogénéisante, et de l’autre, pour éviter une fragmentation stigmatisante. L’enjeu ultime est de concevoir des méthodes participatives adaptées, capables de valoriser toutes les voix.
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- Pourquoi ce choix est stratégique
Décider de réunir les participant.e.s dans un espace unique ou de créer des espaces différenciés est une étape clé. Ce choix influence la qualité des échanges, la légitimité des résultats et le degré d’inclusion ressenti par les citoyen.ne.s.
La littérature comme l’expérience montrent que l’approche collective est souvent présentée comme plus « démocratique » et l’approche différenciée comme plus « équitable ». La réalité est plus nuancée : chacune peut générer des bénéfices comme des effets indésirables. Le rôle d’un leadership inclusif et d’une logique DEI (diversité, équité, inclusion) est d’éviter les choix dogmatiques, en articulant les approches selon les objectifs poursuivis, le contexte et les ressources disponibles.
- Approche collective : un idéal démocratique à manier avec précaution
- Les promesses
L’approche collective (touxtes ensemble dans un même espace) est censée :
- créer un sentiment de communauté et de légitimité (« tout le monde autour de la même table ») ;
- favoriser la transparence et la confiance (« chacun·e entend directement les autres ») ;
- mettre en évidence des enjeux communs qui transcendent les différences ;
- valider collectivement les décisions finales.
- Les réalités
Dans les faits, ces promesses ne se réalisent pas automatiquement :
- les rapports de pouvoir préexistants se rejouent et renforcent la domination de certains groupes ;
- les voix minoritaires peuvent être invisibilisées ou minimisées ;
- la recherche de consensus tend à produire des compromis « minimaux » ;
- certain·e·s, intimidé·e·s, s’autocensurent et repartent frustré·e·s.
- Quand l’utiliser ?
L’approche collective est pertinente lorsque :
- l’objectif est de renforcer la légitimité d’une décision politique ou institutionnelle ;
- il s’agit de construire une vision commune sur des enjeux transversaux ;
- les organisateurs·trices disposent de solides compétences en facilitation inclusive ;
- les participant·e·s partagent une base de confiance ou un statut relativement égalitaire.
- Approche différenciée : libérer la parole, gérer la fragmentation
- Les atouts
Des espaces différenciés, conçus selon les profils ou besoins, permettent :
- de créer un cadre sécurisé où les participant.e.s se sentent légitimes et confortables pour s’exprimer ;
- de réduire les asymétries de pouvoir réels ou perçues ;
- de recueillir une parole plus authentique et plus précise (ex. jeunes entre pairs, personnes LGBTQI+ dans un espace dédié);
- de valoriser la diversité des expériences, des ressentis et des vécus.
- Les limites
- risque de fragmentation si les perspectives ne sont pas reliées entre elles ;
- risque de labellisation ou marginalisation si la séparation est systématique ;
- besoin accru de ressources (temps, budget, animation spécialisée) ;
- difficulté de restitution sans dénaturer les apports.
- Quand l’utiliser ?
L’approche différenciée est utile lorsque :
- on explore les besoins spécifiques de groupes marginalisés ;
- le sujet est sensible ou marqué par la stigmatisation ;
- on est dans une phase exploratoire avant la mise en commun ;
- on veut développer ou renforcer la capacité de groupes minorisés à participer ensuite à un collectif.
- Trouver l’équilibre : combiner les deux approches
Aucune approche ne suffit seule. C’est pour ça que les OECD Guidelines for Citizen Participation Processes insistent sur la flexibilité et la combinaison.
Voici un schéma courant et efficace :
- Phase différenciée : recueillir les expériences spécifiques.
- Phase collective : partager et confronter les perspectives pour construire une vision commune.
- Retour éventuel à l’une ou l’autre approche selon les besoins et ressources.
- Phase de restitution/validation : garantir que les contributions de chaque groupe soient visibles et reconnues.
Une vision inclusive du processus suppose de jongler entre équité (espaces différenciés) et cohésion (espaces collectifs).
- Outil pratique : matrice d’aide à la décision
Objectif principal |
Contrainte / contexte |
Approche conseillée |
Points d’attention |
Construire une vision commune légitime |
Groupe relativement homogène et facilitation expérimentée disponible |
Collective |
Techniques d’animation inclusives pour éviter la domination |
Explorer les besoins des groupes marginalisés |
Sujets sensibles ou tabous, difficultés accrues pour participer dans le collectif (ex. discrimination, méconnaissance de la langue ou des règles locales) |
Différenciée |
Garantir des espaces sécurisés et une restitution fidèle |
Légitimer des décisions collectives |
Processus public, enjeu transversal |
Collective (avec aménagements) |
Clarifier les mécanismes de décision (vote, consensus) et varier les formats de facilitation |
Valoriser les voix des publics qui s’autocensurent |
Enfants, adolescent.e.s, femmes, personnes LGBTQI+, groupes racisés |
Différenciée |
Prévoir une mise en commun pour éviter la fragmentation |
Obtenir un diagnostic complet |
Temps et ressources suffisants |
Combinaison des deux |
Commencer par le différencié, poursuivre par le collectif, revenir au différencié si besoin, valider ensemble |
- Conclusion : au-delà des modèles, l’importance du contexte
Choisir entre approche collective et différenciée n’est pas une affaire de préférence mais une décision stratégique. La première peut sembler plus rapide et légitime pour la prise des décisions, mais elle tend à reproduire les inégalités. La seconde ouvre l’espace aux besoins spécifiques, mais au prix de plus de temps, de ressources et parfois d’un risque de fragmentation.
La combinaison des deux approches permet souvent de maximiser les bénéfices et de limiter leurs inconvénients. Mais surtout, un processus participatif de qualité ne se mesure pas au nombre de personnes présentes : il se mesure à la capacité de créer les conditions où toutes les voix — même les plus discrètes — comptent réellement.
En pratique, cela suppose de :
- clarifier les objectifs (dialogue, diagnostic, légitimation, innovation) ;
- évaluer les ressources disponibles (temps, budget, compétences) ;
- identifier les besoins spécifiques des publics cibles (sécurité, accessibilité, reconnaissance).
L’essentiel n’est pas de suivre un modèle unique, mais d’adapter la méthode aux réalités du terrain. C’est cette souplesse ancrée dans une vision inclusive qui transforme la participation en une expérience légitime, équitable et féconde pour tou.te.s.
En pièces jointes, vous trouvez deux documents appliquant ce questionnement à deux exemples de publics : les enfants et les personnes LGBTG+.
Cette ressource fait partie du dossier thématique Mobiliser et faire participer une diversité de publics.